Saint Servant sur Oust

Le Morbihan, en cet endroit, plisse sa terre jusqu'aux confins des côtes du Nord. C'est une région de montagnes oubliées, usées par les vents, rongées par les siècles en collines granitiques.
C'est le pays Vannetais, pris en tenaille entre la mer au sud et les soubresauts des Montagnes Noires au nord. Limite du parler Gallo, idiome où le Français et le patois interfèrent. L'une des portes de Basse Bretagne.
Le décor est souvent austère, sauvage et désolé, abandonné aux landes d'ajonc et aux bois de sapins. Les chemins y sont réduits au nécessaire.
La grandeur y gagne par l'absence de certitude des contrées très ordonnées. Ici, le doute est acquis de façon définitive, inaliénable, il fait partie de l'héritage. On naît avec. On le lègue en mourant. Mais derrière cette âpreté, il y a la plaine vers laquelle les coteaux s'évasent. L'agriculteur y est le maître. C'est lui qui au long des siècles a dompté l'ingratitude du sol et le désir de la pierre, qui a repoussé la lande, donné à la terre sa vocation nourricière.
Il s'en détache une douceur qui contraste avec les sommets déchiquetés. Tout le tempérament des lieux est contenu dans cet antagonisme.
C'est un pays sans complaisance, le décor et les gens y gardent même rudesse, même silence, et même inattention aux étrangers qui passent.

On ne peut accéder  à Saint Servant sans franchir l'une des collines qui l'entourent. La voie la plus fréquentée est celle de Ploërmel Josselin Vannes. On se trouve alors à un carrefour dit « des quatre routes ». Le panorama y offre une certaine qualité.
Vu de cette direction, le bourg semble toujours faire le gros dos. Bâti, au cours des siècles, le long d'une rue principale, il serpente au sommet d'une grosse bosse qui le fait découvrir à plusieurs kilomètres.
Cette situation offre au voyageur le privilège d'embrasser d'un seul regard, la quasi totalité des maisons adossées à une sombre végétation, l'église, les places et la grand-rue, comme un lézard blanchi.
Il convient alors de se laisser aller dans une descente assez raide, au bas de laquelle coule La Noë, ruisseau sans fougue, dévoré par les ronces. C'est de cet endroit qu'il faut appréhender le village pour le comprendre.
Sans être pénible, la montée qui succède au plat du ruisseau demande un pas équilibré pour
préserver le souffle.
Les premières habitations commencent à mi-pente. Chacune ressemble à son siècle. Certaines sont encore explicables par les anciens, les autres ont l'âge des archives.

Introduction du livre de Jean Claude Bourlès « Chronique du bel été » aux Editions Jean Picollec
75013 Paris